Aujourd'hui le structuralisme?
Olivier Douville, Psychanalyste, Maître de conférence, Paris, France.
Directeur de publication de la revue Psychologie clinique
Ouverture
La structure soit, mais comment en rendre compte ? Un structuralisme ou des structuralismes ? Le phénomène dit « structuralisme » et dans lequel aucun des ténors de ladite révolution structuraliste (Barthes, Foucault, Lévi-Strauss et Lacan) ne s’est reconnu pleinement, recouvre des réalités plurielles, des systèmes de pensées différents et qui sont parfois, antagonistes. Les acceptions courantes et
trop vite adoptées par bien des psychanalystes qui excluent que la doxa structuraliste soit compatible avec la notion de sujet obscurcissent souvent nos repérages. Ainsi il y aurait pour certains un Lacan structuraliste qui aurait cessé de l’être, pour d’autres un Lévi-Strauss qui, structuraliste, ne l’aurait jamais été intégralement, etc.
De plus, les définitions les plus conventionnelles de la structure, qui font d’elle un groupe de transformation, à partir d’antinomies et de couples d’opposition, ne sauraient que bien pauvrement rendre compte de la richesse et de l’heuristique que comportent les différents structuralismes en sciences humaines et en psychanalyse. Enfin, une confusion règne encore, chez les cliniciens se référant à Lacan, entre la structure de l’être parlant dans sa relation au signifiant et au grand Autre et les trois grandes structures cliniques (perversion, névrose et psychose). Ces dernières apparaissent comme des illustrations localisées d’une structure générale dont les mathèmes et la topologie rendent compte ou, du moins, tentent de le faire. Comment se repérer, dans la mesure où il n’est pas
d’école structuraliste à proprement parler, au point qu’un historien des idées, tel F. Dosse, emploie l’expression d’« unité factice 1 » ? C’est que l’on ne saurait parler du mouvement structuraliste sans penser la diversité des liens qui s’y manifeste entre des hypothèses théoriques modélisantes qui peuvent renvoyer à des contraintes logiques proches et des arrière-plans philosophiques qui ne se res-
semblent pas d’un auteur à l’autre. Le structuralisme n’en apparaît pas moins comme un moment décisif de l’aventure intellectuelle et scientifique du XX° siècle, destiné sans doute à se poursuivre de nos jours. Son succès considérable, y compris dans l’opinion, suffisamment éclairée pour faire Des mots et des choses, un best-seller, provient sans doute de la façon dont le structuralisme s’est
présenté : presque davantage un mode de connaissance critique, déconstruisant les dogmes humanistes et psychologiques établis, que comme une méthode. Le temps était à la contre-culture, avec quoi le structuralisme, aux alentours des années 1960 à 1980, fut généreusement et confusément assimilé, les figures de proue du structuralisme en anthropologie, en psychanalyse, en archéologie de
l’histoire des idées (et des traitements des corps et des consciences), en sémiologie, passant aisément et à juste titre pour des « maîtres à penser ». Nous évoquons ici à la suite de F. Dosse, Lévi-Strauss, Lacan, Foucault, Barthes, mais aussi et encore Metz, Derrida ou Sebag.
Si l’on rencontre déjà le terme de « structure » à l’âge classique comme désignant la consistance et la logique de l’architecture d’un corps physique (Fontenelle) ou du corps de la langue (Vaugelas, Bernot), ce n’est, après quelques apparitions dans le champ des sciences sociologiques (Marx, Durkheim), qu’avec la linguistique que ce terme s’inscrit dans le vocabulaire des règles de la méthode scientifique et de la construction de l’objet de connaissance scientifique. La formalisation est une exigence essentielle de la démarche structurale. En ce sens, le structuralisme ne se résume pas à une simple
méthode ou episteme de la formalisation. Il dépasse cette méthode en portant son effort de rigueur vers une théorie de la transformation. Le structuralisme a, comme toute chose en ce monde, une généalogie. La recherche de schémas formels sous-jacents aux formes que prenaient leurs dépliements a marqué bien des initiatives diverses en sciences humaines, en mathématiques et en neurologie. Nous pourrions citer l’importance des formalistes russes. Dans le registre des analyses littéraires, ils rejetaient les explications psycho-biographiques toutes de tautologies (et auxquelles certains psychanalystes restent obstinément fidèles) au profit d’études formelles. Dans le même sens, Propp publia un ouvrage sur les contes de fées où il déserta la description plus ou moins melliflue de tels ou tels contes dans l’espoir, couronné de succès, de dégager une structure formelle unique, se dépliant autrement d’un conte à l’autre. Nous pourrions encore évoquer le formalisme comparatif qui gagna les études de théologie dans des pays marqués par l’émancipation dans les lectures bibliques due à la Réforme.
Sans oublier les recherches des mathématiciens qui, tel Poincaré, prenaient en compte les lois de composition et de transformation des groupes mathématiques, bien au-delà des propriétés intrinsèques des éléments qui les composent. Au risque d’aller trop vite, sans doute, nous soulignerons aussi que, depuis les travaux de Galois en mathématiques, la notion de structure désigne la découverte des lois de groupe dans les transformations algébriques.
Travailler sur le groupe comme système de transformation, expérimenter le champ et le schéma de base : telles étaient les nouveautés et les ruptures épistémiques. Saisissantes. Non que tout le structuralisme soit déjà là, bien sûr, à moins de réduire le structuralisme à la formalisation d’invariants. Mais un renversement de la vapeur du train épistémologique s’annonçait, puis triomphait. La méthode
inductive était nettement rejetée, et d’une façon précise. Ici, le sens ne compte plus, ou plus exactement il suppose un sens caché, celui d’une forme, forme active, qui, sans être figée en une succession ordonnée de significations, serait plus significative et plus efficience que le contenu. Il reste important de poser que c’est bien l’idée d’une totalité réglée que présuppose l’idée de structure.
La structure constitue une totalité autoréglée qui produit des combinatoires. C’est là la première acception qui fit fortune en psychologie et que l’on retrouvera aussi en neurologie avec Leriche ou Goldstein. La perspective atomiste est évacuée, et l’accent se porte sur les notions de réajustement, de production et de transformation. Logiquement, D. Lagache sera un fidèle suiveur de Goldstein lorsqu’il décrira la personne dont s’occupe la psychologie humaniste comme une totalité en situation, capable d’évolution et de transformation au gré de la variabilité des mécanismes adaptatifs souples nommés par lui « mécanismes de dégagement », par opposition aux classiques « mécanismes de défense » supposés favoriser les compulsions de répétition.
Mais la structure ne serait-elle alors rien de plus qu’une totalité souple, à la fois consistante et transformable ? Cette définition serait bien pauvre, s’il ne s’ajoutait pas à la nécessité de formalisation une autre caractéristique. Fonctionnant sur des oppositions consistantes et signifiantes, la structure articule un réel autour d’un signifiant d’exception. C’est sur ce point que les avancées structurales en anthropologie et en psychanalyse dépassent un simple structuralisme formel et combinatoire. Car, bien entendu, il ne suffit pas qu’il y ait des lois régissant la consistance d’un ensemble pour qu’il y ait structure. Potentiel de transformations et d’isomorphisme, l’os de la structure se retrouvera par Lacan voué au dehors, dans la mesure où c’est la mise en lien (et non en rapport) du sujet à l’altérité, au phallus et à l’objet qui permettra, du moins pendant un temps très long de son enseignement, de dégager la consistance des trois grandes structures cliniques : la névrose (refoulement), la psychose (forclusion du signifiant du Nom-du-Père), la perversion (déni).
Or, parler de structures cliniques n’est pas identique au fait de décrire des tableaux cliniques. Le potentiel au singulier d’orientation et de transformation dans la structure (ce qui par commodité peut se nommer « suppléances ») n’est pas strictement prédictible. De plus, la forclusion tout comme le refoulement ne se repèrent pas comme faits cliniques, ce sont leurs effets qui se repèrent comme tels.
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Olivier Douville, Psychanalyste, Maître de conférence, Paris, France.
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